Sa voix ne s’éteindra pas…

Toute la France s’est levée avec une profonde tristesse ce matin. L’Abbé Pierre, le fondateur des Compagnons d’Emmaüs, est mort ce lundi à l’âge de 94 ans. Il aura consacré toute son existence et son énergie aux pauvres et à la défense des faibles et sera resté toute sa vie durant le personnage préféré des français - jusqu’à ce qu’il demande de ne plus figurer dans ce classement pour « laisser la place aux jeunes » !

Il est en effet l’un de ces rares personnages qui font l’unanimité. Depuis son appel de l'hiver 54, il incarnait la révolte contre l'injustice de notre société et a su être la voix de toute une population délaissée. Avant cela il avait été résistant durant la seconde guerre mondiale, et au fond il est resté un résistant toute sa vie.

Au moment où il luttait contre la maladie, il a dû voir avec beaucoup de plaisir et de fierté les Enfants de Don Quichotte reprendre le flambeau. Depuis plusieurs mois, il n’acceptait plus de sollicitations publiques, en raison de sa maladie, mais il s’inquiétait de la situation des Don Quichotte et avait souhaité qu’on le tienne au courant de l'évolution du mouvement.

C'est pour cela qu'aujourd'hui, au-delà de l'Abbé Pierre, mes pensées vont aux Don Quichotte niçois toujours en attente de relogement. A Nice, paradoxalement parce que le climat est plus clément que dans le reste de la France, la situation des SDF est peut-être pire qu'ailleurs. Alors que la recherche de solutions et le dialogue ont prévalu partout, ici les Don Quichotte ont d'abord été expulsés du jardin Albert Ier durant les fêtes pour être installés dans l'humidité de la plage du Centenaire. Et aujourd'hui on les presse d'aller s'installer dans la Plaine du Var, où ils pourront être oubliés à l'abri des regards... Le meilleur hommage que l'on pourrait rendre à la mémoire de l'Abbé Pierre, ce serait de reloger tous ces gens qui dorment sur la plage au mois de janvier.

Cette actualité récente montre que si la France est orpheline de l'Abbé Pierre, le droit au logement reste malheureusement une idée pour laquelle il faut se battre. Et on ne peut que se réjouir que de nouveaux mouvements puissent susciter une mobilisation médiatique et populaire sans compter à leur tête une personnalité aussi charismatique que l'était l'Abbé Pierre, car désormais il faudra bien faire sans lui.

Pour vous montrer combien son combat reste plus que jamais d’actualité, voici l’intégralité de son appel de l’Hiver 1954 :

« Mes amis, au secours...
Une femme vient de mourir gelée, cette nuit à 3h00, sur le trottoir du boulevard Sébastopol, serrant sur elle le papier par lequel, avant hier, on l'avait expulsée...

Chaque nuit, ils sont plus de 2000 recroquevillés sous le gel, sans toit, sans pain, plus d'un presque nu. Devant l'horreur, les cités d'urgence, ce n'est même plus assez urgent!

Ecoutez-moi : en trois heures, deux premiers centres de dépannage viennent de se créer: l'un sous la tente au pied du Panthéon, rue de la Montagne Sainte Geneviève; l'autre à Courbevoie. Ils regorgent déjà, il faut en ouvrir partout. Il faut que ce soir même, dans toutes les villes de France, dans chaque quartier de Paris, des pancartes s'accrochent sous une lumière dans la nuit, à la porte de lieux où il y ait couvertures, paille, soupe, et où l'on lise sous ce titre CENTRE FRATERNEL DE DEPANNAGE, ces simples mots : 'TOI QUI SOUFFRES, QUI QUE TU SOIS, ENTRE, DORS, MANGE, REPREND ESPOIR, ICI ON T'AIME'.

La météo annonce un mois de gelées terribles. Tant que dure l'hiver, que ces centres subsistent, devant leurs frères mourant de misère, une seule opinion doit exister entre hommes : la volonté de rendre impossible que cela dure.

Je vous prie, aimons-nous assez tout de suite pour faire cela. Que tant de douleur nous ait rendu cette chose merveilleuse : l'âme commune de la France. Merci !

Chacun de nous peut venir en aide aux "sans abri". Il nous faut pour ce soir, et au plus tard pour demain: 5000 couvertures, 300 grandes tentes américaines, 200 poêles catalytiques

Déposez-les vite à l'hôtel Rochester, 92, rue la Boétie. Rendez-vous des volontaires et des camions pour le ramassage, ce soir à 23 heures, devant la tente de la montagne Sainte Geneviève.

Grâce à vous, aucun homme, aucun gosse ne couchera ce soir sur l'asphalte ou sur les quais de Paris.

Merci! »

Comments

[jacques]

Salut l'abbé,
Tu n'étais pas un saint, la preuve tu n'avais pas respecté tes voeux de chasteté, (bravo) ,tu n'étais pas infaillible : dans l'extrème hiver de ta vie tu as soutenu la thèse révisionniste de ton ami R Garaudy. (Errare humanum est)
Tu n'étais qu'un homme mais tu avais une foi, une force immense, une révolte hors du commun. Tu portais l'amour vers les autres, les plus faibles et les plus pauvres, tu soulageais la misère par des actions concrètes.
Tu étais un homme de bien, un homme bien, dont nous conserverons le souvenir. Tu nous serviras d'exemple, ce que tu as fait en grand chacun de nous peut le faire en plus petit, et ensemble nous parcourrons un peu du chemin que tu as tracé.
Et surtout que les grenouilles de bénitier de Rome ou d'ailleurs ne te canonisent pas ( tu pourrais te retourner dans ta tombe et leur donner un coup de canne).
Merci l'abbé

[Alain]

Anne-Marien

Vous dites
"Très bel hommage. Cet appel de 1954 aurait effectivement pu être prononcé la semaine dernière après la mort d'un SDF dans un parking. C'est ce qui est le plus malheureux, rien n'a changé"

Mais quelle critique de tous les gouvernements qui se sojnt succédés depuis 50 ans !
Sans oublier ceux de gauchen hélas...

Alain

[Cendra]

Eh oui, cet homme était un homme. Il n'est pas Dieu. Si à chaque fois que l'on prenait position pour une chose ou pour une autre sans se tromper ou ne pas suivre la mouvance, eh bien, quel ennui ! Que de petits moutons dans la prairie déserte de l'"uniformisme" ! Un petit pré vert fade...
Il a lutté pour les miséreux, il a offert l'amour, le don de lui-même.
Alors, qu'il prenne position contre le préservatif, et ne garder que cette image de lui, tout en ne se posant pas la question s'il voulait plutôt prêcher l'amour, la fidélité ou certaines de ces valeurs.
il est vrai que nous vivons dans un monde à reconstruire. Que le préservatif est certes un "mal nécessaire" (et parfois utile biensûr).

Bon, la préface d'un ouvrage révisionniste de Roger Garaudy.... Quel âge avait-il à l'époque de son soutien à Garaudy ?

Ahhh, si je pouvais être toujours clairvoyante !

Je ne suis pas pour l'encensement mais il faut quand même garder en mémoire les hommes ou les femmes qui ont donné de leur vie, de leur coeur, et qui ont pu apporter un peu de joie et d'amour autour d'eux.

Sinon, on peut rester sur sa chaise, à regarder la télé, et se lamenter sur les pauvres gens qui ont tous les maux de la terre,
et puis, ne rien faire....

Merci Patrick, d'avoir terminé cet hommage par les mots d'un homme qui restera dans mon coeur.
Un homme qui n'est qu'un homme, un mortel donc, pour ce qui est du corps biensûr, avec ses forces et ses failles...

[ANTONIN]

C'est un dernier clin d'oeil de sa part. Sa disparition en pleine campagne éléctorale risque de prolonger un peu plus le débat sur le logement.

[Chris]

...R.I.P