quand la liberté de choix s'oppose à la défense des droits
Ce qui vient de faire Frédéric Lefevbre en tentant de déposer un amendement, avec l’accord de Xavier Bertrand, visant à permettre aux salariés, via le télétravail, à poursuivre leur activité professionnelle pendant un congé maladie, un congé de maternité ou un congé parental est un grand moment de stratégie politique.
Imaginer que cette démarche est le fait d'un député turbulent, voire incontrôlable, agité (on en entend sur l'innénarable Lefevbre) serait faire une grosse erreur.
Non seulement ces types n'ont qu'une vision comptable : l'assurance maladie creuse son déficit, comment faire pour le réduire? Mais ils sont d'un cynisme absolu et éprouvé.
Cet amendement remet en cause des principes remontant à la fin du XIXème siècle, lors de la mise en place des premières dispositions du code du travail, c’est-à-dire la protection des victimes d’accidents du travail.
Cette attaque pose une question de fond, celle de la convergence vers le modèle anglo-saxon. À plusieurs reprises, la droite a organisé des reculs importants des droits des salariés, des protections collectives, à l’abri du volontariat du salarié : volontaire pour travailler le dimanche, travailler des années supplémentaires, être prêté aux autres entreprises…
Pendant sa présidence de l’Union européenne, la France a accepté l’opting out, l’autorisation de déroger aux 48 heures de travail hebdomadaires, toujours sous couvert de volontariat…avec la complicité des députés centristes de Bayrou d'ailleurs.
Sous couvert du volontariat, c'est une véritable remise en cause des protections collectives qui s'organise et du code du travail.
Le code du travail existe car l’essence même du rapport salarial est le lien de subordination rattachant le salarié à son employeur. À l’inverse du code civil, qui organise des échanges de consentements libres et égaux, le code du travail existe car la relation est déséquilibrée au départ. Ce déséquilibre a conduit à l’adoption de lois et de conventions collectives afin de protéger les salariés.
Le gouvernement nie ce lien en avançant l’argument du volontariat et organise une véritable individualisation des rapports sociaux, à l’image du modèle anglo-saxon. Pourtant, le salarié est loin de se situer dans une position d’égal à égal avec son employeur. En période de crise et de chômage massif, quelle sera la réponse du salarié à une demande de son employeur de travailler lors d’un arrêt maladie ou un congé parental ou de maternité ? Compte tenu du rapport de forces, le salarié sera obligé d’adhérer à la demande de l’employeur, sous couvert de respect de la liberté individuelle.
La proposition de l’UMP d’orienter l’Europe vers la protection des citoyens et les discours insistant sur les aspects positifs du modèle social français, son rôle d’amortisseur social, sont donc en complet décalage avec des décisions qui portent atteinte aux droits des salariés et à leur santé, qui réduisent les protections existantes, en pleine crise économique et sociale.
Pourquoi une attaque aussi violente, touchant à la maladie, en pleine campagne électorale. Sont ils devenus fous pourrait on se demander?
La réponse est : pas du tout. La stratégie est claire. Quitte à, pour l'instant laisser Bayrou monter, il faut envoyer un signal à la droite dure, à l'électorat conquis au détriment de Le Pen aux dernières présidentielles, parce qu'il faut à tout prix empècher une remontée de l'extrême droite.
C'est la partie de l'électorat de droite qui se mobilise le mieux, et c'est celle dont on a besoin pour sauver les meubles lorsque l'abstention est forte.
C'est le raisonnement du sieur Lefevbre, un des meilleurs poissons pilote de Sarkozy. Le fait que Frédéric Lefebvre ait renoncé à déposer cet amendement in extremis ne change rien au raisonnement. L'impact de l'amendement c'est moins deux points dans les sondages avant même qu'il n'arrive à la discussion, d'où cette retraite prudente.
Mais désormais le ver est dans le fruit. Nul ne doit douter qu'après les élections européennes, cette question reviendra sur le tapis à un moment ou un autre.